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À Tiassalé, entre Yamoussoukro et Abidjan

Johann Dähler fait cohabiter plantations biologiques et intensives

Publié le 11/12/2019 - 17:16

Avec son ami Fredy Hiestand, Johann Dähler produit du cacao biologique. Avec Barry Callebaut et Nestlé, le sexagénaire fait dans la production intensive. Reportage chez un fils d’éleveur suisse devenu planteur en Côte d’Ivoire.

Couvert végétal entre les rangs de tecks.
«Vous savez, maintenant, quand mon avion a cinq heures de retard, je ne m’énerve plus. » Est-ce parce qu’il a subi quelques « coups durs » personnels et professionnels ces dernières années que Johann Dähler est devenu plus philosophe ? Est-ce aussi pour cela que ce fils d’éleveur suisse, prédestiné à la reprise de son élevage conventionnel dans le canton d’Appenzell, près de la frontière allemande, fait de l’agriculture plus écologique aujourd’hui ?

Disons qu’il doit y avoir une relation. Le père de quatre enfants, qui fête cette année ses 66 printemps, fait aujourd’hui plus attention aux intrants (engrais, phytosanitaires) qu’il épand sur ses cultures. Ou même il en fait l’impasse, comme dans la Fredy’s plantation. Il s’agit d’une sorte de grand jardin forestier de cacao et autres espèces, d’une centaine d’hectares, qu’il cultive avec son ami suisse Fredy Hiestand, dans sa Swiss tropical fruit CI, entre Abidjan et Yamoussoukro. Johann s’émerveille lui-même lorsqu’il nous montre, bras à la fenêtre de son 4 x 4, le couvert végétal de Panicum dans sa plantation : « Regardez, comme c’est beau ! »

Un Suisse en Côte d'Ivoire

Cédric Tossavi supervise l’irrigation des plantations.
Mais attention, n’allez pas évoquer les intégristes de la bio devant Johann Dähler : « S’il n’y avait pas la chimie et le nucléaire, je ne serais plus en vie aujourd’hui, s’emporte-t-il. L’agriculture biologique, c’est bien, mais il ne faut pas en faire une religion ! » Puis il se reprend : « Mais c’est vrai que si nous arrivons à faire du cacao biologique, c’est le rêve de tout le monde. » Certes, il en existe, pas très loin d’ici, à M’Brimbo. C’est même la première coopérative de cacao biologique de Côte d’Ivoire. La fève, qui se retrouve dans des tablettes de chocolat distribuées à Paris, est d’ailleurs certifiée par le français Ecocert.

Mais revenons à Tiassalé. Le cacao et le chocolat, Johann connaît bien. Déjà parce qu’il est Suisse, le pays de Nestlé et de Barry Callebaut. Deux fleurons mondiaux de la transformation de cacao, avec qui il travaille. Johann héberge une plantation high-tech du premier, et un centre de recherche à la pointe du second. « Non, là on n’entre pas », dit-il, en passant devant les serres de pépinières de Barry Callebaut, à deux pas de ses bureaux. Nous croisons aussi ce qui semble être des logements étudiants. « Oui, montre Johann. Dans ce centre de recherche, une cinquantaine d’élèves se forment aux techniques de pointe de la production de cacao. »

L'alliance de deux rois

Le planteur, aîné d’une fratrie de dix enfants, connaît aussi le cacao parce qu’il en produit : la centaine d’hectares en bio pour le compte de Fredy, mais aussi plus de 250 hectares en intensif, irrigués et fertilisés au goutte-à-goutte. Johann évoque d’emblée la Fredy’s plantation. « J’ai déjà dépensé près d’un million pour faire du cacao bio, insiste-t-il. Ce sera fantastique si on réussit ! » Dans la plantation, les cacaoyers biologiques font bonne impression. Ils poussent en symbiose avec d’autres espèces (bananiers, tecks…). La densité est peu élevée. Le couvert végétal masque le sol. « Il sert d’engrais quand il est fauché », explique Antoine Bazimba, responsable de la plantation, portant le couvre-chef des grandes occasions.

Cette alliance est celle de l’ancien « Der schweizer ananaskönig », roi de l’ananas – Johann a été l’un des plus grands exportateurs de Côte d’Ivoire – avec l’ancien « roi du croissant » : Fredy, 76 ans, a monté un groupe de boulangerie industrielle coté en Bourse. Et cela fonctionne. « Mais attention, Fredy, lui, il veut un cacao totalement biologique, avec un rendement ne dépassant pas 500 kg/ha », soupire faussement Johann. Faussement, car le fils de paysan suisse voue « un grand respect » à cet homme d’affaires qui finance sa plantation de cacao biologique, et on devine entre eux une grande amitié. « Il veut faire un chocolat biologique d’excellence… » murmure Johann.

Antoine Bazimba, responsable de la Fredy’s plantation.
Dans l’autre partie de la plantation, nous passons à de l’intensif. Environ 400 hectares. Dans la « parcelle Nestlé », les cacaoyers sont ferti-irrigués. L’objectif de rendement avoisine les 2,5 tonnes/ha. Plus vraiment du bio. C’est Cédric Tossavi qui s’en occupe. Le jeune agronome ivoirien sait de quoi il parle. Il s’est perfectionné en techniques d’irrigation et d’agriculture de précision en Israël. « Oui, c’est moderne ici », sourit-il en montrant la station de pompage qui puise dans le fleuve Bandana. Les cuves de fertilisants liquides côtoient les pompes dernier cri et l’armoire de pilotage informatique. Plus loin, dans la plantation, Cédric nous montre les panneaux solaires qui équipent le système d’irrigation.

Cacao, moringa, boeufs

Mais la ferme de Johann ne se résume pas au cacao. Il y a aussi d’autres espèces, dont de l’hévéa et du moringa. Si nous passons assez vite sur le premier – nous nous exerçons juste, chacun notre tour, au saignage d’un arbre –, Johann nous invite à visiter l’opération de mise en sachets du moringa, cette plante aux nombreuses vertus nutritionnelles. Jean-Marc N’Da est le responsable de l’unité de transformation. Quelques femmes s’affairent à éplucher puis à conditionner le moringa. « Cette protéine végétale est utilisée en huile alimentaire, cosmétique ou comme lubrifiant, dans l’horlogerie par exemple », explique Jean-Marc. Les Suisses apprécieront. « Le moringa est aussi utilisé contre la malnutrition », poursuit-il, comme pour donner plus d’ampleur à la plante tropicale.

Jean-Marc N’Da, responsable de l’unité  de transformation du moringa. Photos : Antoine Hervé

En sortant du bâtiment, nous croisons un grand camping-car sur lequel est inscrit « Clinique mobile ». « C’est un docteur suisse qui a cotisé pour cela, explique Johann. Il sert surtout pour des échographies ou des opérations de la prostate. » Utile dans un pays où les déplacements et l’accès aux soins ne sont jamais aisés. Plus loin, nous croisons une drôle d’église avec un minaret. « C’est un lieu de culte que j’ai voulu commun pour tous mes employés », dit Johann. Il y a aussi une école. Des enfants s’empressent pour la photo.

Le soir, après la visite, Johann offre un verre dans sa belle propriété. Gardien, piscine, chiens de garde et pelouse bien taillée. Le fils d’éleveur évoque un élevage de bœufs qu’il ambitionne de monter ici. Puis sa plantation d’ananas au Costa Rica : « 750 hectares. Elle est tenue par mon fils », dit-il en feuilletant l’album photos. Le soir tombe. La terrasse est agréable, le jus de fruits rafraîchissant. Un peu de nostalgie flotte dans l’air de Tiassalé.

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