L’élevage d’escargots à pleine vitesse
Au Bénin, la collecte des escargots en saisons pluvieuses ne suffit plus pour satisfaire les clients. Alors, des Béninois, à l’image d’Emmanuel Tito, se lancent dans cet élevage atypique. Reportage.
Si autrefois, il était aisé de se procurer des escargots en saisons pluvieuses au Bénin, aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Sous la pression sociale, les cheptels sauvages sont menacés par les cueillettes menées trop intensivement depuis quelques années. Pour répondre à la demande toujours croissante des consommateurs, des individus se lancent dans l’élevage d’escargots.
À Akpakpa Sènandé, quartier populaire de Cotonou, Emmanuel Tito, la trentaine, élève des escargots géants d’Afrique. Ils sont de race Archachatina. Emmanuel est ingénieur agronome, option production animale et spécialité héliciculture, c’est-à-dire l’élevage des escargots. Dans un bâtiment d’environ 20m2 , ce jeune homme, formé au Gabon, a installé des cages surélevées en bois, entourées de grillages et remplies de fine sciure de bois. Chaque cage contient une cinquantaine d’escargots, une mangeoire garnie de provende et des abreuvoirs.
Quelques escargots rampent sur les murs du bâtiment. Dans un angle est aménagé un petit coin chargé de sciure de bois humidifiée. « Elle contient les œufs d’escargots. C’est là que se fait l’éclosion », explique Emmanuel Tito. Épris des escargots, l’agronome explique que c’est lors d’un séjour en Côte d’Ivoire, où l’héliciculture est très développée, qu’il a renforcé sa passion pour ces mollusques.
Un élevage peu coûteux mais un milieu exigeant
À l’en croire, c’est un élevage qui présente plusieurs avantages. Les escargots ne font pas de bruit. Ils ne dégagent pas d’odeur. Leurs excréments ne sentent pas mauvais. Ils ne tombent pas malades. Ils mangent peu – ce qui réduit le coût de l’alimentation – et ont un potentiel commercial très élevé.
« La viande d’escargots est la plus chère sur le marché et la demande excède toujours l’offre, explique Emmanuel Tito. En outre, cette viande a des vertus thérapeutiques inestimables. L’élevage ne requiert pas une présence permanente. L’entretien des escargotières se fait tous les deux ou trois mois seulement. Le plus important consiste à veiller à ce qu’il y ait toujours de la nourriture dans les mangeoires et de l’eau dans les abreuvoirs. Il s’agit là d’un avantage très important, car cela me permet de vaquer à d’autres occupations, sans que cela ne nuise à l’élevage. »
Toutefois, cette activité a certaines exigences, dont l’irrespect peut conduire à des déboires considérables. « Pour lancer un projet d’élevage d’escargots, il faut s’assurer d’un cadre environnemental propice, explique l’éleveur. Il est important que les escargots soient à l’ombre. L’exposition au soleil est la première cause de mortalité. Un espace relativement vaste en fonction du nombre d’animaux à élever est indispensable. La densité est fonction de la taille des escargots. Pour les escargots de grande taille, c’est-à-dire de plus de 250 grammes, il ne faut pas plus de 50 escargots par mètre carré. Pour ceux de 200 grammes, on peut aller jusqu’à 100 escargots par mètre carré. »
Escargot d'élevage ou escargot sauvage ?
Le choix des reproducteurs est capital. Il importe de veiller à ce que ces animaux proviennent d’un élevage et non du ramassage en brousse. « Les animaux nés dans les conditions de ferme ne connaissent pas les saisons, explique Emmanuel Tito. Ils ne font pas la différence entre la saison des pluies et la saison sèche, ne connaissent que l’arrosage de l’éleveur, se nourrissent exclusivement de provende et évoluent dans des conditions artificielles. » Ce type d’escargot pond de façon incessante, tous les mois de l’année et même, plusieurs fois par mois.
En revanche, les escargots de brousse sont en contact avec la vie sauvage. Et, même s’ils sont élevés plus tard sous bâtiment, ils font toujours la différence entre les saisons à cause du taux d’humidité de l’air. « Ils pondent exclusivement en saisons pluvieuses », précise l’éleveur. En saisons sèches, ils entrent en estivation, se rétractent à l’intérieur de leur coquille et sécrètent une membrane pour fermer l’entrée de la coquille en attendant la prochaine saison des pluies. « Lorsqu’on ramasse un animal moulé de la sorte et qu’on le met dans des conditions d’élevage, s’il n’entre plus en estivation pendant la saison sèche, il sait tout de même qu’il est en cette saison et ne se reproduit pas », explique Emmanuel Tito.
Un suivi rigoureux
En dépit des facilités avérées, l’élevage des escargots n’est pas approprié aux personnes négligentes. « C’est un élevage qui exige une certaine discipline et une rigueur dans le suivi, explique Emmanuel Tito. Il faut être assez patient et minutieux pour détecter les failles lors de l’aménagement de l’enceinte, car en héliciculture, tout est lié. Si un seul point n’est pas respecté, il peut causer l’échec de tout le processus d’élevage. Par exemple, si les escargots sont protégés contre le soleil, les prédateurs, que l’hydrométrie et l’alimentation sont convenables, mais que la densité requise est inadaptée, cela peut constituer un facteur limitant et être la cause de la mortalité de plusieurs sujets. » Les escargots étant des animaux très fragiles, ils doivent être placés dans un cadre spacieux. Si l’éleveur n’a pas besoin d’être présent tous les jours, il doit être rigoureux dans la mise en place et le suivi de l’escargotière.
Zoom
Une viande particulièrement appréciée
Une étude récente du ministère de l’Agriculture, de l’Élevage et de la Pêche du Bénin indique que la viande d’escargots a une place de choix dans le pays. Elle est fréquemment sollicitée à l’occasion de cérémonies en tous genres (baptêmes, mariages, remises de diplômes…). D’après cette étude, il y a des endroits précis du pays où la viande d’escargots est très appréciée. C’est par exemple le cas du département du plateau de l’Ouémé, en l’occurrence les communes de Kétou et de Pobè. S’il y a des endroits où la viande d’escargots est un peu moins appréciée, dans aucun endroit elle n’est détestée. Les consommateurs se trouvent dans toutes les couches de la société. L’élevage d’escargots étant encore peu développé, c’est majoritairement les escargots de ramassage que l’on retrouve sur les marchés en saisons de pluies. Ce sont les femmes qui ont le monopole de ce commerce.
Utilisée en pharmacie et en cosmétique
La bave d’escargots est devenue une mine d’or
« L’élevage d’escargots est très rentable, témoigne Jean Abakè, un producteur béninois. L’investissement dans l’installation et l’alimentation est faible. Les escargots se multiplient vite, car ils pondent abondamment et l’éclosion des œufs en élevage est bien maîtrisée. Le marché est florissant. Le coût d’un panier de 40 escargots varie entre 10 000 F CFA et 25 000 F CFA, en fonction de leur taille. »
Les Nigérians sont de gros consommateurs. Ces derniers s’approvisionnent beaucoup au Bénin. Mais depuis peu, ils développent leurs propres exploitations qui s’étendent à perte de vue. Aujourd’hui, les Nigérians sont déjà dans la transformation de la chair d’escargots, dans la transformation de la coquille, des viscères et dans l’extraction de la bave. Tout ceci, pour satisfaire les besoins nutritifs des populations, et alimenter l’industrie pharmaceutique et cosmétique. Ces secteurs manifestent un intérêt grandissant pour l’escargot, du moins pour sa bave.
« D’après des résultats de laboratoire, la bave des gastéropodes est riche en collagène, en élastine, en protéines, en allantoïne et en acides glycoliques, explique un expert. Ces derniers sont des principes actifs ayant des propriétés anti-inflammatoires et réparatrices des imperfections de la peau. » Cette bave est devenue une mine d’or que les acteurs de ces secteurs se disputent auprès des héliciculteurs. L’héliciculture se présente ainsi comme une filière d’avenir même si elle est encore embryonnaire et très peu connue au Bénin.
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