L’exonération des intrants agricoles, « vrai casse-tête » pour les paysans
Les paysans éprouvent d’énormes difficultés à accéder à la lettre d’exonération des engrais et autres intrants agricoles qui doit être signée par le ministre de Finances. D’où des découragements dans les campagnes.
Au poste frontière de Kasindi, en territoire de Beni, province du Nord-Kivu, en face de Mpondwe en Ouganda, transitent de nombreuses marchandises entrant et sortant de la République démocratique du Congo.
Parmi celles-ci, il y a les intrants agricoles. Ils sont théoriquement exonérés à l’import par une mesure du Premier ministre congolais. « Cette mesure est bafouée et non appliquée par les agents de l’administration fiscale, accuse Ndani Christian, secrétaire administratif de la Fédération des entreprises du Congo (FEC Kasindi). Tous les produits entrants doivent être déclarés et le passage est conditionné par le paiement. On fixe le montant de façon forfaitaire, d’où des prix élevés. À plusieurs reprises, on a essayé de discuter avec l’administration sur cette problématique, mais rien n’a changé. La seule exonération ici, c’était celle concernant l’importation du ciment ». Ainsi, d’après lui, un kilogramme d’engrais NPK est passé de 1 à 1,5 dollar.
Le langage est autre du côté de l’administration. Robin Simba Sindano, chef de poste du service de quarantaine animale et végétale, (SQAV Kasindi), affirme que les intrants agricoles exonérés passent la frontière sans rien payer. Même si, selon lui, le problème d’exonération est difficile à appréhender.
Lourdeurs administratives
Le juriste Serge Makeo explique : « C’est le gouvernement central qui décide des produits à exonérer. Celui qui veut être exonéré doit adresser officiellement sa requête au ministre national de l’Agriculture en indiquant clairement pourquoi il veut être exonéré. Le ministre va transmettre la requête à son collègue des Finances en définissant le but poursuivi : qui bénéficie de cette exonération et pourquoi. Et c’est ce ministre des Finances qui va rédiger la lettre d’exonération conférant le libre passage des marchandises à la douane ».
Robin Simba Sindano confirme : « Ce sont plus les opérateurs économiques qui profitent de l’exonération d’intrants agricoles, et les commerçants veulent voler l’État. Il y en a qui obtiennent le sésame pour importer gratuitement des intrants et les vendre à moindre coût à une certaine catégorie de gens comme les paysans à faibles revenus. Mais, sur le terrain, la réalité est autre. Beaucoup de commerçants ne respectent pas le mécanisme d’exonération. Les quelques personnes qui détiennent la lettre d’exonération en bonne et due forme passent sans problème. Une seule fois, l’an dernier, la coopérative centrale du Kivu, Coocenki, a fait passer sa marchandise sans payer le dédouanement, juste avec des “frais techniques”. »
Il s’agit de la seule organisation paysanne à avoir fait passer des intrants agricoles au poste frontalier de Kasindi. Cela, au moment où cette coopérative ne détenait pas encore la lettre d’exonération. Une mesure de clémence, donc, car la marchandise était passée avec juste la lettre de demande d’exonération introduite auprès du ministère national de l’Agriculture.
Paysans découragés
« Habituellement, la lettre d’exonération est valide pour une année. Pour l’avoir, il faut rédiger sa missive plusieurs mois avant l’adoption du budget national, car tout doit être planifié à l’avance », ajoute Serge Makeo.
Ces difficultés freinent les paysans. « La réalité est telle qu’il est difficile d’avoir les signatures nécessaires à Kinshasa à temps sans graisser la patte », se décourage Étienne Kambale Vivurwambene, secrétaire exécutif de l’Association des paysans pour le développement rural (Apader), qui œuvre au pied du mont Rwenzori pour la banane, le cacao, le soja, ou autre palmier à huile. Or, « sans la lettre d’exonération, prévient Robin Simba Sindano, toute marchandise doit payer tous les frais dus au trésor public ».
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