Haro sur le Wilt bactérien du bananier
Depuis avril, les producteurs de Baswagha, chefferie de Lubero, au Nord-Kivu, se sont dotés d’une loi visant à lutter contre cette maladie qui ravage 40 % des bananeraies de la région. Interview de Patrick Kiyani Kasereka, agronome au Bureau diocésain de développement (BDD) du diocèse de Butembo-Béni.
Afrique Agriculture : qu’est-ce que le Wilt bactérien du bananier ?
Patrick Kiyani Kasereka : Connue sous le nom scientifique de Banana Xanthomonas Wilt (BXW), cette bactérie attaque les bananiers. La maladie est signalée particulièrement en Afrique sub-saharienne. Après son apparition pour la première fois en Éthiopie dans les années 1960, sa présence a été signalée en 2001 en République démocratique du Congo (RDC) puis en Ouganda. Après, la maladie s’est propagée dans d’autres pays d’Afrique centrale, notamment au Rwanda, en Tanzanie et au Kenya en 2006. Potentiellement, aucune région d’Afrique n’est à l’abri de cette épidémie. Sa capacité de propagation est rapide. La destruction totale de la bananeraie en un temps réduit fait du BXW une des maladies les plus redoutables pour le bananier en Afrique. En RDC, la maladie est apparue pour la première fois au Nord-Kivu, en territoire de Masisi, avant de s’étendre jusqu’ici à Lubero, où se situe la chefferie des Baswagha.
Comment se manifeste cette bactérie ?
P. K. K. : Au niveau externe, on assiste au dessèchement du bourgeon mâle, au jaunissement et au flétrissement des feuilles, au mûrissement prématuré et désordonné des fruits.
Au niveau interne, il y a brunissement des fruits et émission de liquide gluant, jaunâtre et puant. Enfin, il y a un dessèchement du régime et des feuilles.
Que représente cette maladie pour les paysans de Baswagha ?
P. K. K. : Le Wilt bactérien du bananier a surgi dans la chefferie de Baswagha dans les années 2010. Dans cette région, la banane est une culture de rente. C’est grâce aux bananes à cuire ou à dessert, aux gros michelins, ainsi qu’aux boissons indigènes extraites des bananes que la plupart des paysans de Baswagha scolarisent leurs enfants, payent leurs soins de santé, construisent leurs cases, etc. Bref, l’économie de la région tourne autour de la banane.La maladie a dévasté environ 40 % des bananeraies de la région. Elle a rendu difficile la vie de nombreux paysans. Nombre d’entre eux ont d’ailleurs cru à une malédiction. Ils croyaient que leur chefferie était maudite. Dans leurs champs, ils ont commencé à remplacer les bananiers par d’autres cultures comme le manioc ou le maïs. Ce qui a occasionné une carence en bananes sur plusieurs marchés de la région. Ainsi, à Butembo on ne trouvait plus le fameux vin de banane de l’axe Musienene-Muhangi, réputé pour sa qualité.
Vous avez expliqué aux paysans qu’il ne s’agissait pas d’une malédiction ?
P. K. K. : Oui, depuis 2014, notre Bureau diocésain s’est mobilisé pour faire comprendre aux paysans que le Wilt bactérien du bananier n’est pas une malédiction, mais une maladie qu’il faut combattre. Nous avons opté pour une approche champs-écoles-paysans. On a débuté avec quatre champs, aujourd’hui il y en a 23. L’objectif est de former les formateurs des paysans. Ces gens ont enseigné les techniques de lutte contre le Wilt bactérien : destruction du pied malade, coupe du bourgeon floral mâle atteint en utilisant les sticks de bois, stérilisation des outils de travail (houe, machette, serpette…), utilisation des rejets sains pour des nouvelles plantations, etc. Toutes ces techniques étaient appliquées dans des champs de démonstration. Mais parfois, elles ne l’étaient pas sur le terrain. C’est pourquoi les paysans ont proposé de mettre en place une loi.
Qu’a apporté cette loi ?
P. K. K. : D’abord, c’est une loi locale. Elle comporte neuf dispositions qui visent à sanctionner les récalcitrants qui ne veulent pas mettre en pratique les conseils de lutte contre la maladie. Pour parvenir à son élaboration, nous avons sillonné 96 villages de la chefferie, avec les agronomes d’État, pour recueillir les propositions des paysans. S’en est suivie une séance de mise en commun des propositions issues des différents villages. Et finalement la loi a été signée en avril 2016 par le Mwami Bonane Kahindo Nzanzu, grand chef coutumier des Baswagha.
Mais cette loi n’est pas une panacée…
P. K. K. : Pour nous doter de cette loi, nous nous sommes inspirés de l’approche ougandaise de lutte contre ce même Wilt bactérien du bananier. Dans ce pays, les autorités ont aussi mis en place des réglementations pour sanctionner ceux qui facilitent la propagation de la maladie. Les résultats sont satisfaisants. Chez nous, nous avons l’espoir qu’il sera de même. La loi de Baswagha prévoit des amandes qui vont de 500 à 50 000 Francs congolais.
Que faites-vous de l’argent recueilli ?
P. K. K. : Ces fonds sont gérés conjointement par la chefferie et le Conseil rural agricole de gestion. Mais, ce qui est à noter, c’est que, depuis 2014, nous avons réussi à ramener les taux d’attaque des bananeraies de 40 à 10 %. Les paysans s’impliquent. Ils proposent par exemple à leurs co-villageois des rejets sains pour de nouvelles plantations. Donc, l’espoir est permis pour que nous continuions de produire des bananes en chefferie des Baswagha.
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