La spiruline contre la malnutrition
Produite en bassins au Mali, Niger, Burkina Faso, Togo ou encore à Madagascar, cette cyanobactérie entre dans la composition de nombreux programmes de lutte contre la malnutrition. Souvent soutenue par Antenna France sur le continent, elle assure aussi un revenu aux populations locales. Plongée dans cette production pas comme les autres aux accents social, économique et humanitaire.
Si la spiruline est à la mode dans les pays industrialisés, en Afrique, elle sauve des vies. À tel point que sa production est recommandée par la FAO comme moyen pour accéder à un traitement contre la malnutrition. Riche en protéines (entre 50 et 70 % de son poids sec), en vitamines, minéraux, oligoéléments, acides gras et pigments, la spiruline (Arthrospira platensis) constitue un complément alimentaire efficace.
La spiruline, outil de développement
Sa production, peu coûteuse, assure un approvisionnement indépendant du marché et des politiques humanitaires internationales, à l’inverse des compléments alimentaires importés. C’est aussi un outil de développement qui crée une activité économique durable, accessible aux plus pauvres, grâce, notamment, aux actions mises en œuvre par Antenna France en Afrique(1).
Une nouvelle ferme tous les deux ans
Depuis presque 20 ans, la fondation Antenna apporte son soutien technique et financier à des programmes de production et de diffusion de la spiruline, menés par ses partenaires locaux. Antenna France y déploie un modèle d’entrepreneuriat social, créateur d’emplois et de développement de l’économie locale au Mali, Niger, Burkina Faso, Togo, RCA et à Madagascar.
Pour cela, elle s’appuie sur les outils et les formations développés par Antenna Technologies qui a séquencé et enregistré le génome de la spiruline en 2009 dans la base GenBank (accessible gratuitement). En parallèle, La Fondation a mis au point un système innovant de production à l’échelle locale, en bassins.
Ronds ou rectangulaires, profonds d’environ 20 cm, ils peuvent être construits avec des matériaux bon marché, disponibles sur place. Le milieu de culture est simple, une eau salée et alcaline, à constituer à partir d’engrais agricoles du commerce, de bicarbonate de soude ou de cendre de bois. La spiruline nécessite peu d’eau comparée à d’autres activités agricoles du fait de son extrême productivité. Pour en améliorer le rendement et nettoyer les bassins, une structure rotative à quatre bras, équipée d’un long racleur de surface et de racleurs de fond courts, agite le milieu en permanence. Soit par propulsion éolienne, soit par motoréducteur à fort couple. La récolte peut démarrer un mois et demi après l’ensemencement des bassins. La technique consiste à filtrer le milieu de culture.
Autonomie financière à cinq ans
La spiruline est pratiquement insensible aux attaques d’insectes ou de maladies. Cependant, les conditions de sécurité du produit final doivent être parfaitement assurées par des contrôles réguliers de respect des standards d’hygiène, de microbiologie et d’absence de contaminations. Consommée fraîche localement, elle ne nécessite ni transformation, ni cuisson. Sinon, il faut la sécher puis la réduire en paillettes, poudre, etc. Toutes les déclinaisons sont possibles, de la micro-production familiale jusqu’aux installations semi-industrielles.
En matière de modèle type, le programme mis en place à Agou Nyogbo au Togo est exemplaire. À la demande de l’association togolaise, Eco Spiruline, dirigée par Tona et Élisabeth Agbeko, Antenna démarre en 2011 le premier projet dans ce pays. Dans le village d’Agou Nyogbo, à 120 km au nord de Lomé, une ferme de 500 m² avec cinq bassins est construite tandis que le centre de nutrition (CENA) est relancé.
Faire connaître la spiruline !
Un sixième bassin est ajouté en 2014 et, depuis 2016, la ferme est autonome techniquement et financièrement. Elle continue à s’agrandir avec la construction d’un septième bassin, autofinancé par l’association, portant la surface totale de production à 700 m² en avril 2017. La ferme emploie 17 salariés, produit 1 113 kg de spiruline et plus de 12 000 enfants ont bénéficié d’une cure au centre d’éducation nutritionnel d’Agou depuis ses débuts. Ce dernier, dirigé par Élisabeth Agbeko, dispose d’un budget de 10 000 €, emploie deux personnes et est entièrement financé par Eco Spiruline avec la Fondation Aimer Nourrir Donner (Restaurants Cojean). Le centre est aussi chargé de faire connaître la spiruline dont la notoriété est faible et l’image peu valorisée en Afrique, alors même que le Tchad en est un des berceaux !
Associée sur le continent au traitement des personnes infectées par le VIH, la spiruline a besoin de produits dérivés et d’emballage au marketing abouti pour se faire accepter des populations. C’est pourquoi, les efforts portent sur les innovations produits et leur promotion au travers d’actions de prestige dans les centres urbains. « Les expatriés sont un vecteur d’image positive autant que les champions de la NBA qui en consomment. Le but est de massifier l’usage pour améliorer la santé de tous », souligne le délégué général. Si la pizza créée au Burkina Faso par la première ferme, installée en 2003 à Loumbila, est une réussite, les Togolais sont aussi dynamiques et inventifs !
À la ferme d’Agou Nyogbo, grâce à une plateforme de séchage et de transformation de fruits, ils développent des jus, très populaires avec les glaces, testent toute sorte de recettes et planchent sur des conditionnements attractifs. Elle est aussi devenue un centre de formation pour les producteurs des pays du Sud. Les sixièmes rencontres panafricaines de la spiruline s’y sont d’ailleurs tenues en janvier 2018. Une belle reconnaissance.
(1) La fondation suisse Antenna (Antenna Technologies) est engagée depuis trente ans dans la recherche scientifique et la diffusion de solutions technologiques, économiques et médicales pour répondre aux besoins essentiels des communautés les plus vulnérables. Antenna France, association de solidarité internationale en charge du programme nutrition depuis 2002, lutte contre la malnutrition et l’extrême pauvreté grâce à la spiruline.
Zoom : redécouverte au Tchad
Déjà mentionnée dans les récits des conquistadors revenant du Mexique au XVIe siècle, c’est au Tchad qu’une mission scientifique européenne redécouvre la spiruline dans les années 1950 sous forme de galettes séchées vendues sur les marchés dans la région du Kanem. Désertique, cette région est parsemée de waadis, petites lagunes temporaires aux eaux salées et fortement alcalines, très propices à la croissance de ce micro-organisme que les habitants consomment et s’échangent depuis des siècles.
Les kanembous récoltent la spiruline en filtrant l’eau à travers des paniers de vannerie. La biomasse ainsi obtenue, une purée d’un vert profond, est séchée au soleil pour la conserver puis la vendre.
Procédé toujours en vigueur, il inspira, dans les années 1970, le docteur Ripley D. Fox qui encouragea et créa des sites de production à travers le monde. Un projet pilote est en cours pour développer la filière traditionnelle au Tchad (programme « Dihé » réalisé dans la Convention cadre CE/FAO, elle-même inscrite dans l’accord de Coopération Tchad - Union européenne).
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