« L’Afrique nourrira le monde »
L’agronome sénégalais Moussa Seck évoque le potentiel agricole du continent et le fait que plus de la moitié des terres arables non exploitées de la planète se trouvent en Afrique. Explications.
« Oui, Mesdames et Messieurs, l’Afrique nourrira le monde ! » Moussa Seck tient son auditoire en haleine. Nous sommes au Radisson Blu hôtel d’Abidjan, début novembre. 350 experts internationaux participent au troisième Africa Agri Forum. Le président de la Pan African Agribusiness & Agro-Industry Consortium (Nairobi, Kenya) explique : « Le continent est divisé en deux par l’Équateur. On peut y cultiver toutes les plantes de la terre. Elles produisent deux fois dans l’année… ».
Peu de prêts pour l’agriculture et à des taux prohibitifs
Il commente une carte animée : « L’Afrique peut géographiquement contenir les États-Unis, l’Union européenne, la Chine, l’Inde, le Japon… ». Les blocs-pays s’entassent tel un puzzle « dans » le continent. L’animation plaît. Mais Seck porte le fer : « L’Afrique affiche un produit intérieur brut de 2,6 mille milliards de dollars. Alors que le PIB total des autres pays dépasse 53 mille milliards de dollars… ». Rumeurs dans la salle feutrée du Radisson.
Seule une poignée de pays africains a atteint l’objectif de 10 % du budget national consacré à l’agriculture. Or, cet Accord, dit de Maputo, date de… 2003. Dommage car le travail de la terre fait vivre l’essentiel de la population africaine. Les financiers ne font pas mieux. « Les principales banques n’allouent que 1 à 5 % de leurs prêts à l’agriculture, regrette Ken Johm, économiste à la Banque africaine de développement (Bad). Et souvent à des taux prohibitifs de 15 à 25 %. »
Le continent fait face à d’autres défis. L’eau : « L’Afrique irrigue à peine 13 millions d’hectares, alors que l’Asie, à elle seule, en irrigue 200 millions », regrette Seck. Les fertilisants : « Le continent utilise quinze fois moins d’engrais que la moyenne mondiale », raille Karim Lotfi Senhadji, directeur général d’OCP Africa (Maroc). En plus, cet engrais est vendu « deux à six fois plus cher qu’ailleurs ». En cause notamment, le prix du transport : « 3 $ les 50 kg aux US, 10 $ en Côte d’Ivoire… ». La mécanisation : « 2 à 3 % de nos fermes sont mécanisées », stipule Eugène Kouassi N’Zi, à la tête des maïsiculteurs de Côte d’Ivoire. « Le Nigeria dispose de moins de 30 000 tracteurs, alors que nous devrions en avoir au moins un million », regrette Chief Audu Ogbeh, le ministre de l’Agriculture et du Développement rural du Nigeria. C’est pourquoi son pays vient de signer un partenariat avec la China-Africa Machinery Corporation, la Camaco. Mais attention, prévient-il, ces tracteurs « doivent durer 15 à 20 ans, car nous n’avons pas d’argent pour renouveler ces machines tous les deux ans ».
Autre grand défi, le manque de transformation des produits agricoles. « 40 % de nos récoltes sont perdus en post-récolte », maugrée Abdoulaye Touré, agroéconomiste à la Banque mondiale. Des centaines de tonnes de mangues pourrissent sous les arbres ou sont dévorées par les vaches alors qu’elles pourraient finir en jus de fruit. Un manque de valeur ajoutée que Guillaume Gnamba Yao, de la chambre d’agriculture de Côte d’Ivoire, commente d’une formule choc : « Nos paysans vendent leur kg de caoutchouc à 300 FCFA (0,45 €, ndlr). Et il nous faut 90 000 à 120 000 francs pour acheter un pneu neuf (140 à 180 €, ndlr)… ». Sans compter le manque d‘électricité, d’infrastructures, de sécurisation du foncier... Une litanie.
Les nouvelles technologies de plus en plus utilisées
Heureusement, Seck a une bonne nouvelle : la révolution verte africaine, non seulement nourrira le monde, mais elle « éradiquera la faim en Afrique d’ici 2025 ». Notamment parce que le continent « n’exploite qu’un tiers de ses terres arables ». Mieux, « la moitié des terres arables non cultivées de la planète se trouvent en Afrique » se plaisent à répéter les experts à longueur de colloques.
Et puis, il y a les paysans. « Beaucoup sont analphabètes » croit savoir ce savant à Abidjan. Certes, les écoles manquent. Mais, n’en déplaise, ces paysans se servent de plus en plus des nouvelles technologies. Pour acheter, vendre, irriguer… « Aujourd’hui, 80 % du commerce du café, cacao se fait en ligne », assure Penatirgué Soro, président des coopératives agricoles de Côte d’Ivoire. « 7 000 kilomètres de fibre optique seront achevés de poser d’ici 2018 », complète Euloge Soro-Kipeya, directeur général de l’Ansut, l’agence nationale ivoirienne des télécommunications.
Sans compter que, suite à la COP22 qui s’est tenue sur leur continent, à Marrakech, ces paysans soi-disant « analphabètes » présentent un bilan carbone nettement plus favorable que bon nombre de leurs homologues occidentaux trop portés sur les pesticides ou les engrais. Et ça, par les temps qui courent, on achète.
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