La Can n’a pas toujours souri à l’agroalimentaire local
Si le ministère des petites et moyennes entreprises (PME) dit avoir multiplié les actions en faveur du “made in Cameroun” lors de la Coupe d’Afrique des nations de football, les entrepreneurs de l’agroalimentaire sont beaucoup plus nuancés sur ces actions. Explications.
Le 9 janvier a marqué le coup d'envoi de la 33e édition de la Coupe d’Afrique des nations (Can). Face à l’arrivée des visiteurs étrangers dans les grandes villes du pays hôte, le Cameroun, l’Agence des petites et moyennes entreprises, Transfagri, le CDCB centre et l’Agence française de développement ont mené une action commune mettant en avant la production locale. Ainsi, plusieurs vitrines ont été installées sous l'appellation « village de la Can ». Rien qu’à Yaoundé, capitale politique du Cameroun, on compte une dizaine de vitrines, réparties essentiellement dans le centre de la ville. Elles proposent des produits « made in Cameroun ». L’une d’entre elles est située au nord-ouest de Yaoundé, dans le quartier de Tsinga. Elle est nichée à l’arrière du palais des sports et s’étend sur environ cinq mètres. Cette vitrine rassemble plusieurs stands, une dizaine d’exposants s’y regroupent. On y trouve toutes sortes de produits locaux (gels hydroalcooliques à base de manioc, savon fabriqué à partir de beurre de cacao…). Cependant, les produits agroalimentaires sont majoritaires, liqueurs de cacao, jus de baobab, biscuits de manioc, bouillies de maïs énergisantes, entre autres.
« Je viens tous les jours mais je ne vends rien »
L’essentiel des aliments exposés n’a pas quitté l’étalage. Pour cause, l’endroit n’attire pas les visiteurs. Moins d’une dizaine par jour. « La vitrine est mal située. Personne ne sait ce qu’il se passe ici. C’est pareil pour toutes les autres vitrines de la ville. Les supporters viennent uniquement voir le match sur l’écran géant. Ils se rendent dans les restaurants alentour mais ils ne visitent pas la vitrine de la Can. Je ne suis pas sûre qu’ils la voient », regrette une productrice de jus de fruits. « Je viens tous les jours mais je ne vends rien. Il n’y a personne », ajoute une transformatrice de cacao. Pour rentabiliser le prix de la location (en moyenne 50000 Francs CFA, soit 76€ le mois), plusieurs exposants ont embrassé le rôle de vendeurs ambulants. Dans le quartier de Tsinga, munis d’un panier, ils se mêlent avec les commerçants informels habituels. Ces exposants entreposent leurs marchandises dans des paniers artisanaux et tentent de les vendre aux passants, riverains et commerçants du quartier. « Ma recette dans la rue est plus rentable qu’au stand. Pour autant, je n’ai pas abandonné le stand. Ma marchandise est toujours exposée. Si un client achète, les commerçants sur place garderont ma recette », explique une transformatrice de cacao en biscuits chocolatés. D’autres ont décidé de ne plus s’y rendre. En effet, certains exposants préfèrent travailler sur leur exploitation agricole ou dans leur usine artisanale pour « contrecarrer cette perte financière ». Une majorité d’exposants dénoncent une absence de prospection. Le manque d’information serait la cause criante de cet échec.
Un problème plus profond
Pour les coordinateurs de l'événement présents au village de la Can, l’échec est également palpable. Selon eux, un travail d’information et de communication en amont de l’événement a été fait. La raison de l'échec est tout autre pour Harris, assistant de la coordinatrice. Elle concerne le marché de l’offre et de la demande « Les Camerounais et étrangers de la classe moyenne sont tournés vers l'extérieur », explique-t-il. Il ajoute que l’absence de normes et de certification serait un frein pour les plus nantis à consommer local. Ils préféraient se tourner vers les produits occidentaux, jugés plus fiables, en vente dans les supermarchés. Pour le reste de la population, les plus pauvres, « ces produits chers ne sont pas de première nécessité », conclut-il.
De nombreuses normes
Pour R., transformatrice de cabosses de cacao en de nombreux dérivés (biscuits, boissons…) le respect des normes, conformément au marché extérieur, est nécessaire pour développer son activité économique. « J’ai connaissance des nombreuses normes pour pouvoir vendre sur le marché européen. Pour les respecter et les appliquer, j’ai besoin de financement, reconnaît-elle. Je sais qu’il faut déposer un dossier à l’Agence des normes et de la qualité. Là-bas, les experts analysent un échantillon de notre produit et se réfèrent à une grille en vigueur. Ils octroient des certificats de conformité obligatoires permettant le dédouanement des marchandises. Pour le moment je suis dans une réelle incapacité », complète l’entrepreneuse originaire de la région du Littoral.
Selon cette férue de cacao, il est plus facile de vendre sur le marché international des produits agricoles non transformés comme les fèves de cacao car l’absence de transformation implique moins de normes. En effet, le procédé de transformation du cacao en ses dérivés implique plusieurs étapes dont la fermentation et la torréfaction. Ce procédé nécessite le respect d’un grand nombre de normes, notamment sanitaires. Cependant, le transport d’un produit non fini est plus lourd, donc plus cher à l’exportation. Pour enfin vivre de son activité, R. explique qu’une formation aux normes internationales en vigueur est donc primordiale. Dans l’attente de ce soutien des différents ministères, notamment celui des PME, cette transformatrice de cabosses de cacao tente de vendre sa production sur le marché national en se référant au vocabulaire qui mine le secteur de l’agroalimentaire en Afrique. « Je fais comme mes confrères font. Je parle des nombreuses vertus du cacao pour vendre. Il soigne et soulage. C’est un anti-stress, un cicatrisant et un allié contre l’hypertension », observe-elle.
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