La difficile gestion de la crise alimentaire
L’Office national d’appui à la sécurité alimentaire (Onasa) avait fait ses preuves dans la gestion des crises alimentaires au Bénin jusqu’en 2016. À l’heure où une nouvelle crise alimentaire touche le pays, beaucoup de gens réclament son retour. Explications.
Dans les marchés de Cotonou, la métropole du Bénin, comme dans les autres marchés du pays, le mécontentement se lit sur les visages des usagers. Et pour cause, les prix de certaines denrées alimentaires, de grande consommation, ont pris l’ascenseur. C’est le cas du maïs, du haricot, du gari, de l’huile végétale, du sucre, de la farine de blé, pour ne citer que celles-là. Par exemple, le prix du maïs est passé de 18 000 FCFA à 25 000 FCFA le sac de 100 kg. L’huile de palme a vu son prix augmenter de 8 000 FCFA, passant de 12 000 à 20 000 FCFA le bidon de 25 litres.
Le gouvernement béninois, par l’intermédiaire de son porte-parole et secrétaire général adjoint, Wilfried Léandre Houngbédji, évoque trois raisons pour justifier cette flambée inhabituelle des prix. D’abord, la carence des pluies depuis la campagne agricole de 2020. Cette situation a perduré jusqu’à la grande saison des pluies en 2021, rendant pénible la production de vivres, surtout dans les départements du sud du pays. Ensuite, la pression exercée sur les produits agricoles béninois par des opérateurs économiques venus des pays voisins. Ces pressions se manifestent par une exportation massive de vivres. Cela affecte la constitution de réserves alimentaires par les paysans. Enfin, les effets pervers de la Covid-19 sur les produits importés comme la farine de blé, l’huile végétale, le riz, le sucre…
Stock tampon de régulation des produits
À l’avènement du régime Talon en 2016, le Bénin disposait d’un outil efficace pour juguler les situations de crise alimentaire. Il s’agissait de l’Office national d’appui à la sécurité alimentaire (Onasa), institué en 1992. Placé sous la tutelle du ministère de l’Agriculture, de l’Élevage et de la Pêche, il était chargé notamment de faire des suggestions relatives à la mise en œuvre de la politique de sécurité alimentaire, de participer à la promotion du stockage décentralisé des produits vivriers, de constituer et de gérer un stock tampon de régulation des produits vivriers en cas de besoin et d’identifier les zones à déficit ou excédent en produits vivriers. En outre, l’Onasa devait aussi gérer la stabilisation des prix des produits vivriers, de leur stockage à leur commercialisation, et d’émettre des avis motivés en matière de politique des prix des produits vivriers au Bénin.
L’Onasa a connu ses lettres de noblesse pendant la crise alimentaire des années 2007 et 2008. On se rappelle qu’en juillet 2008, le gouvernement béninois avait pris la décision d’installer des comptoirs de vente de produits vivriers de grande consommation (maïs, riz, sorgho…) dans les 77 communes du pays, à travers le Programme national des magasins témoins de l’Onasa. Ces comptoirs de vente étaient des « boutiques témoins (BT) », où la vente des produits vivriers se faisait à des prix référentiels. « L’installation de ces BT avait apporté un grand soulagement aux populations pauvres, surtout dans les régions reculées », confie Eléonore Gbétin, une mère de famille. Un succès, à tel point que les BT ont été reproduits dans des pays comme la Mauritanie, le Sénégal, la Guinée Conakry, le Togo, le Burkina Faso et le Mali.
Suppression de plusieurs offices dont l’Onasa
Malheureusement, avec les réformes entreprises depuis 2016 dans le secteur agricole, le gouvernement dirigé par le président Talon a procédé à la suppression de plusieurs offices dont l’Onasa. Les BT ont, du coup, fermé, et le personnel a été remercié.
Dans la crise actuelle de hausse de prix des denrées alimentaires de première nécessité, de nombreuses personnalités et experts béninois pointent du doigt cette suppression de l’Onasa. « La dissolution de l’Onasa est une erreur. Un pays d’eau, qui n’est pas capable de constituer six mois de réserve alimentaire pour nourrir ses enfants, c’est une faute lourde inadmissible et indéfendable, explique Simon Narcisse Tomèty, un universitaire et leader d’opinions béninois. Réformer ce n’est pas que liquider. C’est aussi restructurer pour garantir la continuité de l’offre de services publics alimentaires durant les périodes de disettes. On aurait pu restructurer au lieu de faire disparaître l’Onasa. C’est une faute lourde du gouvernement, surtout dans un contexte d’agriculture pluviale et de changements climatiques. »
« Les explications du gouvernement face à la hausse des prix des denrées de première nécessité sont d’une légèreté déconcertante », avoue, pour sa part, Sylvain Akindes, un ancien ministre de feu le président Mathieu Kérékou. L’éminent géographe et co-prix Nobel de la paix 2007, Michel Boko, se réfère, quant à lui, à ce qui se faisait au Bénin, dans un passé récent, et recommande la constitution des stocks, en suivant la politique qui a vu naître l’Onasa, et dont les résultats ont été salués aussi bien au plan national qu’international. Pour Boko, il est « urgent de concevoir une autre politique agricole, afin de mieux prévenir de telles situations ».
« Détecter à temps les signaux annonciateurs »
En réaction à ces critiques, Wilfried Léandre Houngbédji estime que l’Onasa, tout comme la plupart des entités qui avaient été créées au Bénin, « était mal géré ». Selon lui, il n’était pas justifié que l’office soit maintenu. Il rappelle que le rôle de l’Onasa était de « constituer des stocks tampons pour venir sur le marché en temps de soudure ». Or, Michel Boko estime que la situation que traverse actuellement le Bénin « n’est pas une soudure ». Selon ses propos, la soudure « suppose que les produits ne sont pas disponibles ou le sont en très petites quantités et n’arrivent pas à satisfaire la demande ». Il apporte pour preuve les mérites de la politique agricole mise en œuvre depuis l’avènement du régime de la rupture.
Pour Romuald Wadagni, ministre des Finances, « la rationalisation du paysage institutionnel constitue la réelle motivation de la décision du gouvernement de procéder à la liquidation de certaines structures, dont l’Onasa ». Pour lui, la réforme en cours met plutôt l’accent sur le renforcement des instruments de veille et d’alerte précoce, comme les systèmes d’alerte rapide et d’information sur les marchés. Cela afin, poursuit-il, « de détecter à temps les signaux annonciateurs de la crise pour la prise de mesures de prévention et/ou de gestion, plutôt que de constituer, à coûts onéreux, des stocks physiques parfois non utilisés, compte tenu de la faible récurrence des situations sévères d’insécurité alimentaire au Bénin ».
Pour juguler cette crise, le gouvernement béninois a mis sur pied un comité ad hoc afin de réfléchir à la situation et a décidé de l’interdiction des sorties incontrôlées de produits agricoles du territoire national. Des saisies de cargaisons sont opérées.
Reste que la hausse des prix des produits de première nécessité persiste...
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